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Florence Aubenas : La méprise. L'affaire d'outreau. (au Seuil).

Florence Aubenas : La méprise. L'affaire d'outreau. (au Seuil).

 

Première surprise en parcourant ce livre : cette affaire dont l'évocation nous était familière, je ne la connaissais pas. Je ne l'avais découverte qu'au cours de la déconfiture du premier procès. J'avais noté la révocation et l'expulsion de l'experte militante féminazie, qui distribuait triomphalement ses tracts à l'audience.
J'ignorais que cette affaire avait un noyau dur non nul, impliquant deux couples et de trois à quinze enfants selon l'adulte impliqué.

J'ai découvert la virtuosité dans le parasitisme psychique, de Myriam Badaoui : sachant parasiter et détourner les travailleurs sociaux, sachant parasiter les voisins jusqu'à ce qu'ils l'évitent, sachant parasiter le juge Burgaud, pour en faire sa marionnette, l'exécutant de sa mythomanie. Elle est bien en prison, c'est comme un foyer...

J'ai découvert la pauvreté psychique de ce juge débutant, prisonnier de son mythe-slogan : "Les enfants ne mentent pas."

Je découvre l'encouragement donné par Fabrice Burgaud, à la mythomanie complaisante : il fait dénoncer par David Delplanque des complices imaginaires.

 

Moeurs d'avocats à Boulogne :

 (citation)

 

 

Au barreau de Boulogne-sur-Mer, personne ne s'était bousculé non plus chez les avocats pour défendre la pre­mière vague des mis en examen. Un braqueur flamboyant, une tueuse diabolique, un terroriste émouvant, voilà de jolis cas, des causes valorisantes pour un ténor des Assises. Mais une brochette de délinquants sexuels, détrempés à la bière, élevés à coups de ceinturon et qui haussent le son de la télé pour couvrir le bruit des disputes, qui en voudrait ?
Pour arranger encore le tableau, aucun n'avait le sou vaillant – sauf peut-être Roselyne Godard la Boulangère, dont le mari était garagiste – et la plupart avaient demandé l'aide judiciaire. Bref, un dossier peu glorieux à se traîner des mois en perdant de l'argent.
À Boulogne, un avocat revoit la lumière tombante de cette fin d'après-midi où il venait d'être désigné d'office pour défendre un de ces gens d'Outreau, arrêté au début de l'affaire. « J'avais feuilleté les premières dépositions des enfants Delay chez le greffier. Mon client se disait innocent et je n'arrivais pas à le croire : les gens nient systématiquement dans les accusations de moeurs. Je le voyais coupable, je dirais même qu'il me soulevait le coeur. J'ai pensé que si au moins il avouait, son dossier serait mieux parti. J'ai essayé de le lui faire comprendre, sans avoir l'air de lui forcer la main, bien sûr. » L'avocat de Boulogne se souvient de son client, assis à côté de lui, qui répétait : « Avouer ? Et puis quoi encore ? » L'homme gar­dait le front baissé, ses yeux le fixaient par en dessous, ses menottes cliquetaient. Le pénaliste a fini par lâcher le pre­mier : « D'accord. Vous vous prétendez innocent. Faisons la liste des éléments qui plaident en votre faveur. » Alors, l'autre n'a plus rien dit, on n'entendait plus que le bruit des menottes. L'avocat reprend : « Je pensais : quel salaud ! En tant que citoyen, je reconnais que j'aurais été le pre­mier à vouloir lui couper le cou. »
C'était juste avant un interrogatoire du juge Burgaud, l'accusé et son défenseur s'étaient éloignés quelques ins­tants en tête à tête dans un couloir du palais de justice.
L'avocat n'avait jamais jugé utile de lui rendre visite en prison pour préparer sa défense. Il avait d'ailleurs si peu l'intention d'y aller qu'il n'avait même pas sollicité de permis pour le faire.
Le dossier, il n'en avait pas demandé copie, pas plus qu'il n'était allé le consulter chez le greffier. Un quart d'heure de discussion dans le couloir, ça suffit, non, avec des empotés pareils ? L'avocat se disait qu'il aurait tou­jours le temps, les quelques nuits juste avant les Assises, de s'avaler en vitesse les trois ou quatre procès-verbaux importants. Le pénaliste hausse les épaules. « Qu'est-ce qu'il y a d'extraordinaire là-dedans ? Rien, au contraire. C'est de l'ordinaire pur, de la justice comme elle marche au jour le jour. » L'avocat fait un gros clin d'oeil. « De toute façon, j'ai heureusement réussi à me débarrasser du client assez vite en le refilant à un confrère. »
Au début, ces premiers dossiers de l'affaire d'Outreau tournent ainsi demain en main, atterrissant d'abord chez un avocat, qui le passe à un deuxième, qui rêve lui-même qu'un troisième le lui prendra à son tour. On dirait une grande partie de « Pouilleux », ce jeu qui consiste à ne pas rester à la fin avec le valet de pique entre les mains. Certains « Pouilleux » de la Tour du Renard vont ainsi circuler de cabinet en cabinet, sans défenseur attitré. Quatre mois après son arrestation, Franck Lavier écrit au juge : « Je m'adresse à vous, ne pouvant compter sur mon avocat. Ce n'est pas que je ne lui fais pas confiance, mais je ne sais pas la tête qu'il a. » Thierry Dausque, l'ex-fiancé de Martine Goudrolles, devra se débrouiller seul face au juge pendant plus d'une année, traversant tous les interrogatoires et les confrontations sans même la présence physique d'un conseil.

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