Dans l'Education Nationale, le poisson pourrit d'abord par la tête

Bienvenue en enfer ! (témoignage d’une collègue en congé maladie)

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Cher miaou sur mon épaule,

Je te confie mon témoignage afin que tu puisses diffuser largement ce que vivent les profs d'aujourd'hui.

Je suis formatrice et professeur de Maths et Physique depuis 4 ans. Cette année le rectorat m'a contactée car ils cherchaient un professeur de maths- sciences pour les Bac Pro d'un lycée à 100 km de chez moi dans un quartier sensible.

Ce qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille c'est le fait que le professeur désigné à l'origine a préféré accepter une offre à 50 km de son domicile plutôt que rester dans ce lycée, situé à 500 m de chez lui.

Ce n'était pas ma première expérience puisque j'ai depuis 3 ans des BTS CGO et des CAP esthétique en 1 an dans des Etablissements privés. J'avais également effectué des remplacements en collège et en lycée, ainsi que du soutien scolaire pour des lycéens à un rythme de plus de 30h/semaine.

Charmants petits monstres

Suite à l'appel du rectorat, je me rends début septembre dans l'Etablissement. La proviseure adjointe m’accueille, et me fait faire le tour, en me prévenant que les élèves (uniquement des garçons) sont assez durs et que je ne dois pas hésiter à être ferme.

 

 

Sur 30 élèves seulement 10 ont choisi de faire un Bac Pro technique ; les autres ont été casés ici parce qu'ils n'avaient pas de lycée et qu'avec la suppression des redoublements, ces jeunes de 14 ans en sortie de 3ème ne peuvent pas arrêter l'école, et lorsqu'un cycle de lycée est entamé, l’Éducation nationale s'oblige à garder le jeune jusqu'en Terminale.

Le mardi suivant j'arrive en cours. Les élèves débarquent en poussant des cris d'animaux et s'installent en chahutant, malgré mes rappels à l'ordre : "Taisez vous ! Silence !..." Pendant tout le cours, ils me jettent des projectiles qui atterrissent à quelques centimètres de moi alors que j'écris au tableau. Dès que je me retourne, personne ne bouge.

Le 2ème jour est encore pire que le premier. Je reçois un projectile en plein dans l'œil. Le proviseur arrive et me propose de porter plainte. Cela me paraît invraisemblable, comment porter plainte contre un élève ? Je suis censée les protéger, pas les envoyer devant le juge... Les élèves sont interrogés, le coupable est désigné.

Un conseil de discipline est convoqué. Je me retrouve face à la mère, blonde peroxydée à poitrine débordante et maquillage vulgaire. Son argumentaire est simple : "c'est pas mon fils, je sais qui c'est mais je suis pas une balance, je vous dirai pas qui c'est". Son fils est exclu définitivement.

Les cours se suivent et se ressemblent, cris d'animaux, jets de projectiles.... Et bien sûr dès que je me retourne personne ne bouge.

Un langage fleuri

"Salope, connasse, t'es moche, t'es grosse..." Ils ne sont pas très forts en maths, mais ils ne manquent pas de vocabulaire... Je surprends un élève en train de mimer une fellation. Chez un de mes collègues, un autre mime une masturbation. Son excuse : "je secouais une canette invisible."

Les élèves ne prennent pas leurs livres, rarement leurs cahiers et jamais leurs calculatrices, alors que les programmes insistent sur l'utilisation des calculatrices graphiques. Mais les rares fois où ils ont une calculatrice entre les mains ils la cassent pour récupérer les touches pour en faire des projectiles. De toutes façons, les calculatrices graphiques ne sont pas obligatoires... L'administration prétend que c'est trop cher pour les familles.

Comment faire des exercices alors que la majorité des élèves n'ont pas leurs livres ? Faire des photocopies... Sauf qu'il faut estimer par avance le nombre de photocopies, en gros faire un pari : "combien d'élèves auront oublié leur livre aujourd'hui ?"

J'ai beau signaler les élèves qui n'ont pas leur livre, aucune mesure n'est prise, ni heures de colle, ni convocation.

Quelquefois je suis obligée d'abandonner mes élèves pour compléter le nombre de photocopies avec la photocopieuse à 10 m de ma salle de cours. Ce qui occasionne parfois des drames, comme le jour où je les ai laissés une minute pour faire 2 photocopies, et où, quand je suis revenue, ils étaient en train de se battre avec les tables... Bilan : deux tables neuves cassées... J'ai fini par délaisser les livres au profit d'exercices trouvés sur les sites Internet des autres académies. Comment faire correctement son métier dans des conditions pareilles ?

Je commence à exclure de cours les fauteurs de troubles et à rédiger des rapports systématiques sur les incidents permanents. Mais comment faire entendre raison avec des heures de colle à des élèves qui passent régulièrement devant le juge des enfants ?

8 h 02 : J'ai envoyé un élève faire des photocopies

8 h15 : Le préposé aux photocopies n'est toujours pas revenu.

Un élève me demandé s'il peut "utiliser la poubelle". Naïve, je réponds : "oui". L'élève se lève, ouvre sa braguette et urine dans la poubelle devant toute la classe. Dans mon malheur, j'ai eu de la chance ; chez ma collègue d'Anglais, un élève a déféqué sur sa table. Le mien reçoit 1 h de colle qu'il n'a jamais effectuée.

Tous frères !

Mes classes sont multiculturelles, on compte en gros : 1/3 de jeunes Caucasiens, 1/3 de jeunes Blacks et 1/3 de jeunes Beurs... Bien que nous soyons dans un quartier sensible nous ne sommes pas classés ZEP car dans l’Éducation nationale le nombre d'établissement en ZEP est fixe, pour habiller Paul, il faut déshabiller Jacques et les établissements en ZEP tiennent trop à leur classement.

Les insultes fusent : "sale noir !" fait écho à "sale arabe !" ou à "Blanche Neige !" ou à "sale feuj". Comme toujours lorsque j'ai le dos tourné au tableau. Je n'avais aucune idée de ce qu'était le racisme ou l'antisémitisme auparavant. Ma collègue de Français a été agressée lors de l'heure d'échange suite aux attentats de novembre. Depuis elle alterne 2 semaines de cours avec 2 semaines d'arrêt.

Les agressions entre élèves sont légion ici, souvent pour des histoires de religion. Deux élèves se sont fait poignarder depuis le début de l'année. Un jour, un de mes élèves en a menacé un autre si celui-ci ne priait pas pour qu'une fille accepte de coucher avec lui. Le jeune musulman a refusé de prier pour ce qui constitue pour lui un péché et une bagarre s'en est suivie, au beau milieu du cours.

Un élève qui a fugué de chez lui pour partir en Syrie et qui a été rattrapé à la frontière avec une interdiction de sortie du territoire rapporte ce document en cours... Il est acclamé comme un héros.

Afin d'éviter les insultes, la proviseure-adjointe m'a conseillée de ne plus écrire au tableau. Je dois faire cours sans écrire, sans dicter (trop traumatisant pour les élèves). Je diffuse des diapos. La télécommande du vidéo projecteur étant systématiquement dérobée, je dois monter sur la table pour l'allumer ou l'éteindre.

La bonne parole

Je bénéficie d'une formation spéciale "Maths-Sciences" : "Il ne faut pas faire de chapitres tels que "Les fonctions" mais il faut poser une question telle que : "quelle est la relation entre mon rythme cardiaque et le rythme respiratoire ?"

Il faut décliner tous les chapitres avec des questions pratiques sur des thèmes tels que « construire une maison » ou « sport et loisir ». Les évaluations doivent être notées sur des critères tels que « s'approprier », « communiquer » « analyser »... On leur demande comme s'ils étaient en CE1 de repérer les données chiffrées dans un énoncé ou de dessiner un dispositif tel que vu sur une photo.

Les inspecteurs viennent nous rendre visite durant la formation, et nous demandent : "qui a des problèmes en cours ?". Je lève la main. Ils nous précisent : "n'oubliez pas que nous faisons partie de la commission pour que vous passiez en CDI au bout de 6 ans."

Les élèves ne sont pas perturbés lorsque je les surprends à jouer sur leur téléphone portable ou à ne pas écrire leurs cours. Les punitions ne leur font ni chaud ni froid.

Une pièce rectangulaire en acier usiné de 300 grammes avec des angles vifs rebondit à 30 cm de ma tête, laissant une marque sur le tableau et l'écran de PC. Nul doute que si ce projectile m'avait atteinte, je ne serais plus là. Un conseil de discipline est convoqué, mais l'élève fait appel auprès du rectorat et il est réintégré sans que les enseignants soient prévenus.

Une chaise vole à travers la salle... Ça devient dangereux ici !

Un élève baisse son pantalon en cours. Quelle réaction avoir face à ce genre d'attitude, notamment lorsqu'il est acclamé par ses camarades ?

Les cours se déroulent dans le bruit, voire avec la musique sortant des téléphones. Exclure ou coller les jeunes n'a aucun effet. Pourtant avec les BTS ou les 3ème que j'ai en plus des Bac Pro, je n'ai jamais de bruits en cours.

Nelly, ma collègue anglaise, s'est fait casser le poignet. Alors qu'elle ouvrait la porte, un élève a donné un coup d'épaule et de pied contre la porte, lui coinçant le poignet entre la porte et le mur. L'élève est toujours en cours car même s'il a reconnu avoir donné le coup d'épaule, il nie avoir donné le coup de pied. Dans le doute, on le garde.

Je suis coincée dans une salle car un jeune a cassé la porte depuis l’extérieur. Les élèves me proposent de sortir par la fenêtre. Je refuse, mais pour eux ça ne serait pas la première fois car ils s'échappent régulièrement par la fenêtre (au rez -de-chaussée) lorsque je ne regarde pas.

Un élève me menace "pour rigoler" : "je vais vous tuer, mettre le feu à votre voiture et à votre maison". L'élève aura une heure de colle, non effectuée, et ne manquera pas de réitérer ses menaces.

Un matin, je n'ai que 4 élèves. Ils me disent : "on est que 4, on veut pas faire cours, on s'en va !"

Ma collègue de sciences, refuse de faire cours à des élèves qui poussent des cris. La réaction ne tarde pas, elle va être très vite inspectée.

Le coup de grâce

Un vendredi, un élève vient en "touriste" ni livre ni calculatrice bien évidemment, mais aussi ni cahier ni stylo. Je lui demande son carnet, il refuse de me le donner. Je lui signale que je vais noter sur l'ordinateur qu'il n'a pas son carnet. Il se lève, bondit du fond de la salle et me tord le bras. Je lui demande de sortir, il refuse. J'appelle la vie scolaire par téléphone (nous avons des téléphones dans les salles). Une surveillante arrive, l’élève refuse à nouveau de sortir. La proviseure adjointe arrive à son tour, ne cherche pas à savoir ce qui se passe et me force à continuer le cours en présence de l'élève.

J'ai prévu un TP informatique, mais le réseau est en panne. Alors que je galère pour le remettre en route, les élèves ouvrent la fenêtre pour insulter des filles ou se mettent à plat ventre sur un chariot et le font rouler.

Mon médecin traitant a décidé de m'arrêter...

J'ai reçu via Facebook des messages de trois élèves (je précise que je ne suis pas amie sur Facebook avec mes élèves) me demandant quand je revenais car "ils me préfèrent 100 000 fois à mon remplaçant". Je reviens en cours avec une bonne surprise : je serai inspectée dès la semaine prochaine. Selon la proviseur adjointe, il ne s'agit que d'une "visite de conseil pédagogique"

Inhabituellement calmes, les élèves semblent très heureux de me revoir. Ce n'est pas le cas de la proviseure adjointe qui me dit : "il aurait été préférable que vous ne reveniez jamais, votre remplaçant est bien mieux que vous". Etant donné les plaintes des élèves, j'en doute... Je pense que c'est surtout dû au fait que j'ai reproché à la direction son inaction. Il faut que j'apprenne à me taire. C'est d'autant plus étonnant que durant mon absence, les cours en classe entière ont été supprimés. Preuve que mon remplaçant devait avoir quelques difficultés !

Une séance de torture

Le grand jour de l'inspection est arrivé. L'heure se passe bien. Il faut dire que je n'ai que cinq élèves... J'ai préparé une feuille d'exercices sur les polynômes du 2nd degré et quelques équations simples à résoudre. Chacun passe au tableau. J'explique, réexplique...

L'heure suivante est consacré au débriefing. L'inspecteur s'installe et me demande de lui parler de ma carrière. Puis la conversation se déroule ainsi :

- Je fais des formations professionnelles depuis 4 ans pour les adultes,

- Je ne comprends pas. Quelle genre de formation ? Les adultes sont suffisamment formés et n'ont pas besoin de formation (sic !)

- Via un DIF

- C'est quoi un DIF ?

- Droit individuel à la formation (comment peut-on être ignorant à ce point ?)... Les Bac Pro sont vraiment durs et faire cours avec eux est vraiment éprouvant.

- Prétendez-vous que vous n'avez pas les élèves que vous méritez ?

- Je ne critique pas les élèves. Du reste, avec mes élèves de BTS et les 3ème ça se passe très bien. Ils ont de bonnes notes à l'épreuve du BTS.

- Votre cours était une catastrophe, vous ne respectez pas les méthodes pédagogiques, vous ne remettez pas les équations dans un contexte concret. Vous ne devez pas faire de maths, vous devez les distraire et leur faire faire des maths sans qu'ils s'en aperçoivent. Vous avez torturé les élèves avec vos équations. En plus, comble de l'horreur vous avez fait faire des multiplications de tête aux élèves (rien n'est exagéré dans ces propos, tout est retranscrit fidèlement)

- Mais les élèves apprécient les cours avec moi. Regardez les messages (je sors le téléphone)

- Mais comment !!! Je suis étonné. Pourquoi les élèves ont votre numéro ?

- Les élèves n'ont pas mon numéro, ils ont envoyé le message via Facebook, tout le monde peut envoyer un message via Facebook, et il ne sont pas en amis avec moi sur Facebook.

- Je ne comprends rien à vos histoires d'amis et de Facebook... Vous vous rendez compte du détournement de mineur que vous faites (heureusement que je ne suis pas un homme dans une classe de filles)

- Mais ce n'est pas de ma faute s'ils m'ont envoyé un message.

- Votre cours était d'un ennui mortel. Vous faites trop écrire les élèves. Vous avez fait un cours magistral, c'est scandaleux. Même à la fac ou chez Acadomia, on ne fait plus ça. Vous enseignez comme on le faisait il y a encore 10 ans. Vous êtes rétrograde. Combien de fois dois-je le répéter, on ne met pas de titre aux cours, ni I ni II. Posez une problématique concrète comme "construire une maison" et répondez y !

- Ma méthode marche bien, mes élèves ont des très bonnes notes en maths au BTS.

- Et pour les BTS, vous avez quel statut ?

- Je suis en CDI après 2 ans en CDD.

- Vous êtes une menteuse, ça n'est pas possible d'avoir un CDI au bout de 2 ans.

- Vérifiez si vous ne me croyez pas.

- Taisez vous ! vous êtes une incapable, vu comme vous étiez mauvaise avec les Bac Pro, ce n'est pas possible que vous soyez bonne avec vos BTS. De toute façon je vais vous envoyer mon collègue inspecteur de BTS, il va vous descendre !

- Et avec les 3ème tout va bien, ils sont calmes.

- Le fait qu'ils soient calmes signifie que vous les endormez, pas que vous les intéressez.

- J'ai été agressée trois fois ici....

- Cela prouve bien que vous êtes fautive ! Si les élèves vous agressent c'est vous la responsable, vos élèves ont du courage pour vous supporter.

- Et les chaises qui volent, et le pseudo djihadiste ? et mes collègues agressés ?

- Tous les jeunes sont récupérables et c'est pas comme si vous aviez 30 djiadistes. C'est VOUS la responsable de vos agressions. Et maintenant qu'est ce qu'on fait ?

- Je ne sais pas. Peut être pourriez-vous arrêter de vous acharner contre moi. Regardez mon remplaçant a fait un cours plus théorique que moi.

- En attendant je ne veux plus vous voir. Partez en arrêt maladie.

 

Fin de citation.

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bienvenue-en-enfer-temoignage-d-179283

http://www.agoravox.fr/ecrire/?exec=articles&id_article=179282

 

Voir aussi le courageux inspecteur qui ne venait que pour pirater des logiciels :
http://citoyens.deontolog.org/index.php/topic,579.0.html
Le lien original est mort. Je connais Joël et le chef de travaux simulateur. C’était à Patay, 75013.